29. juin, 2022

« Un revenu universel serait possible en y associant un impôt proportionnel »

La proposition d’un revenu universel (RU), c’est-à-dire d’une allocation publique versée sans condition à tout individu, est abondamment débattue par les économistes et les politiques. Selon certains, il pourrait être la solution à la croissance des inégalités de revenu et à l’insuffisance des allocations existantes.

Pour d’autres, ce serait un moyen de réduire l’inefficacité du système de prestations actuel, qui consiste généralement en un patchwork de nombreux programmes gérés par une bureaucratie pléthorique. Les dépenses sociales représentent environ 20 % du produit intérieur brut (PIB) des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

En France, leur part est d’à peu près 30 %, le plus haut taux des pays de l’OCDE, alors qu’aux Etats-Unis il est de 18 %, à peine inférieur à la moyenne. La santé et les retraites s’adjugent la part du lion, et le reste, soit 8,1 % du PIB en France et environ 2,7 % aux Etats-Unis, correspond à des allocations versées à la population en âge de travailler.

Des conditions particulières

Ces allocations sont en général soumises à conditions de ressources, c’est-à-dire que seuls les individus ayant un revenu inférieur à un certain seuil sont en droit de les percevoir. Ces allocations peuvent être soit des prestations monétaires, en liquide ou en chèque, versées directement ou sous forme de crédit d’impôts, soit des services en nature, comme le logement social ou les crèches payées par le gouvernement.

Newsletter

Si l’on répartissait le montant actuel de ces allocations entre tous les habitants, enfants comme adultes, cela représenterait 3 100 euros par personne et par an en France, et 1 400 euros aux Etats-Unis. Aujourd’hui, tout le monde ne reçoit bien entendu pas cette somme-là, car beaucoup de gens perçoivent des revenus suffisamment élevés pour être inéligibles, tandis que ceux qui ont droit aux allocations publiques reçoivent en général une somme relativement plus importante.

Imaginons que soit mis en place un revenu universel. La France verserait alors 3 100 euros par an à tout le monde, et les Etats-Unis 1 400 euros, en supprimant tout simplement tous les programmes d’allocations existants et en adressant un chèque annuel à leurs citoyens. Mais un tel dispositif générerait le mécontentement de nombreuses personnes à faibles revenus, qui perçoivent plus avec le système actuel !

Evaluer des politiques budgétaires alternatives

Imaginons alors que soit mis en place un RU plus généreux, à 5 000 ou 10 000 euros par personne, par exemple. Cette augmentation des prestations satisfera certes un plus grand nombre de gens, mais sera aussi beaucoup plus coûteuse pour le budget public. D’où viendra l’argent supplémentaire, sachant qu’il n’est pas toujours facile d’augmenter les impôts ?

Autrement dit, à quel niveau de générosité le RU doit-il s’établir pour satisfaire suffisamment de monde sans grever les finances de l’Etat ? Dans une étude présentée au symposium du Centre for Economic Policy Research (CEPR) à Paris, du 1er au 3 juin, nous avons répondu à ces questions dans le cas américain.

Il n’est en effet pas possible de convaincre un gouvernement de procéder à une mise en place expérimentale d’un revenu universel pour en étudier les effets. En revanche, comme il est d’usage en macroéconomie, nous pouvons simuler des économies artificielles afin d’évaluer des politiques budgétaires alternatives.

Les économies artificielles, objet d’études

Ces économies artificielles, qui sont en réalité de longs codes informatiques, sont peuplées d’individus représentant l’hétérogénéité de la population. Certains sont jeunes, d’autres vieux ; certains sont mariés, d’autres célibataires ; certains ont des enfants, d’autres pas ; certains sont riches, d’autres pauvres.

Dans ces modèles, les individus paient des impôts, perçoivent des allocations et décident de leur temps de travail, de leur consommation et de leur épargne, de manière identique à ce que font les individus selon les données réelles. Quand on modifie le niveau des impôts ou des allocations, les individus de nos économies artificielles réagissent en changeant leur comportement.

En examinant la quantité de biens que les gens consomment et le volume de travail qu’ils accomplissent, nous pouvons évaluer à quel point ils sont « heureux » dans les différents systèmes d’impôts et d’allocations. Les économies artificielles servent donc de laboratoires pour mener des exercices théoriques qu’il serait impossible de mener grandeur nature.

Les différentes formes des allocations

Aux Etats-Unis, les allocations actuelles prennent différentes formes – compléments de salaire, allocations familiales, coupons d’alimentation, participation aux frais de crèche, aide au logement ou encore versements directs –, toutes destinées aux ménages ne percevant aucun revenu ou un revenu modeste.

Pour certains groupes, comme les mères célibataires, ces allocations représentent une source significative de revenu. Les allocations et autres dépenses publiques sont financées par différentes formes d’imposition, mais surtout par l’impôt progressif sur le revenu.

Imaginons que l’on remplace tous ces programmes par le revenu universel. Nous constatons que le meilleur RU possible s’élève à environ 2 500 euros par personne, de sorte qu’un couple marié avec deux enfants percevrait aux alentours de 10 000 euros par an. Le montant total des allocations représenterait alors environ 4,7 % du PIB et nécessiterait donc de financer ces nouvelles dépenses par une hausse des impôts.

Les atouts de l’imposition proportionnelle

60 % des Américains seraient bénéficiaires d’un tel dispositif, mais nombre d’entre eux, notamment ceux situés en bas de l’échelle de redistribution des revenus, en seraient plutôt mécontents, car, dans le système actuel, ils perçoivent plus de 2 500 euros. Mais un revenu universel plus généreux impliquerait des impôts encore plus lourds qui pourraient générer des incitations négatives sur l’offre d’emploi et l’épargne, ce qui diminuerait l’assiette fiscale sur laquelle le gouvernement collecte les impôts.

Comment pallier ces inconvénients ? Un revenu universel accompagné par une réforme fiscale s’éloignant des impôts progressifs actuels pour aller vers un impôt proportionnel sur le revenu serait une formule plus efficace. Une imposition proportionnelle génère en effet des incitations plus fortes au travail et à l’épargne qu’un impôt progressif.

Ce qui permet par conséquent de collecter plus d’impôts et d’augmenter le montant des allocations. Avec un impôt proportionnel sur le revenu, le RU pourrait être plus généreux et atteindre la somme de 3 700 euros par an et par personne, soit 7,3 % du PIB, plus de trois fois le niveau actuel. Deux enseignements ressortent de notre analyse.

L’Etat-providence exigerait une réforme

Tout d’abord, un programme de revenu universel est coûteux. Les allocations existantes ciblant les individus à revenu faible peuvent être importantes, et les étendre à tout le monde nécessiterait de substantielles augmentations d’impôts.

En second lieu, repenser l’Etat-providence exigerait une réforme qui non seulement instituerait le RU, mais chercherait le moyen le plus efficace d’augmenter les recettes publiques. Notre étude montre que cela serait possible en allant vers un impôt proportionnel sur le revenu. Dès lors que les distorsions fiscales sont réduites grâce à l’impôt proportionnel, la taille de l’économie agrégée augmente, ce qui permet d’élargir le degré de redistribution.

Cette tribune est traduite de l’anglais par Gilles Berton

Les auteurs :

  • Nezih Guner(chercheur à l’Université autonome de Barcelone, affilié au CEPR et associé à l’IZA), 
  • Remzi Kaygusuz(professeur d’économie à l’université Sabanci (Turquie)) 
  • et Gustavo Ventura (professeur d’économie à l’université de l’Arizona)